La durée de vie moyenne des entreprises ne cesse de chuter : elle était de 65 ans en moyenne aux Etats-Unis en 1920, elle n’est plus que de 10 ans aujourd’hui. Coca-Cola fait presque figure d’exception. Dire que la « destruction créatrice » chère à Schumpeter est à l’oeuvre, et que l’innovation est une nécessité stratégique sont des évidences.
Cela est tellement vrai qu’un enthousiasme bruyant semble s’emparer de tous les secteurs de l’économie : il faut DI-GI-TA-LI-SER. L’ubérisation du monde est à l’oeuvre, et les exégètes de l’innovation expliquent que le SOLOMO (SOcial, LOcal, MObile), en apportant de nouveaux services à moindre coût va tout balayer sur son passage. Certes… On voit bien arriver les voitures-robots, les modèles prédictifs, l’éducation désintermédiée à une échelle planétaire, ou de nouvelles formes de production avec les imprimantes 3D. On voit bien que les nouveaux usages sont ancrés pour longtemps, et que le cycles d’innovation se sont accélérés avec l’informatique. « Faut y aller ! » qu’on nous dit.
C’est à ce moment précis qu’il est urgent de relire Edgar Morin : « Ce n’est pas seulement notre ignorance, c’est notre connaissance qui nous aveugle ».
Quelques précautions devraient entourer l’innovation digitale :
Donner du sens : l’informatique est un outil, au même titre que l’ont été le charbon ou les chemins de fer, qui ont porté, en leur temps, la naissance d’un nouveau monde. Et si le digital est incontournable, la question n’est pas de digitaliser à tout prix (c’est déjà là), mais comment améliorer ses produits / services / process grâce au digital.
Accepter les risques : les yeux rivés sur les « success stories » de l’informatique, on oublie que ces entreprises sont soumises (comme les autres) à des cycles de vie de plus en plus courts. La digitalisation ne garantit en rien la pérennité d’une entreprise, et les bonnes idées digitales sont soumises, elles aussi, à une large part d’échec.
Partir d’une copie blanche : Les ruptures d’hier ne sont pas celles de demain. Ce n’est pas nécessairement en géolocalisant ses produits et ses clients qu’on devient un nouveau Uber. Et ce n’est sûrement pas l’adoption d’une nouvelle technologie qui porte en elle les modèles économiques de ceux qui l’utilisent.
Changer de culture : enfin, et c’est peut être le plus important, si l’on connaît beaucoup de recettes qui favorisent l’innovation (équipes hétérogènes, incubation externe, labs..), il en est une qui relève de l’indicible : la culture d’entreprise. C’est elle qui conditionne les succès, mais c’est aussi elle qui freine, dans la majorité des cas, le déploiement de l’innovation. Et la digitalisation ne permet pas de sauter cette barrière comme par miracle..
Acceptés ces quelques principes, un dialogue avec l’incertitude peut s’engager. C’est alors que « l’imprévisible devient hautement probable » comme le disait Monsieur Morin.